Quand ça passe plus

En cours d’écriture.
Quelques pensées provisoires, pour ouvrir la question.

Il arrive un moment où ça ne passe plus.

Pas seulement sur un point.
Pas seulement une difficulté isolée.
Tout semble se rejoindre. Tout pèse.
La foi, la famille, le corps, le pardon, la colère, la peur, les conflits : tout vient ensemble, sans qu’on sache par où commencer.

On voudrait pouvoir trier.
Dire : « Aujourd’hui, c’est juste la fatigue. »
Ou : « C’est juste la solitude. »
Ou encore : « C’est juste cette dispute, cet échec, cette honte, cette culpabilité. »

Mais parfois, tout est lié.
Et il n’y a pas d’étiquette assez simple pour ce que l’on porte.

La Bible ne cache pas ces moments-là.

On pense tout de suite à Job, bien sûr. Mais il y a aussi Jérémie, effondré dans sa vocation et maudissant le jour de sa naissance (Jr 20,14-18).
Il y a Élie, écrasé sous un genêt, qui demande la mort (1 R 19,4).
Il y a les psaumes d’angoisse où Dieu semble lointain et muet (Ps 88).

Même Jésus, dans le jardin de Gethsémani, à la veille de sa passion, connaît cet écrasement :

« Mon âme est triste à en mourir. » (Mt 26,38)

Il n’a pas tout trié.
Il n’a pas tout porté tranquillement.
Il a demandé à ses amis de veiller avec lui. Il a prié. Il a lutté. Il a su ce que voulait dire : quand ça ne passe plus.

Alors, que fait-on quand tout coince ?
Quand rien ne semble pouvoir être séparé ou réparé immédiatement ?

Peut-être rien, justement.
Pas tout de suite.

Peut-être qu’il s’agit d’abord de ne pas s’arracher à soi-même.
De rester là, dans ce lieu sans issue claire.
De ne pas désavouer ce qui est ressenti.
De ne pas mépriser ce qui est trop lourd.

Et d'oser murmurer — même à voix brisée, même sans grand espoir :

« Ô Dieu, ne sois pas loin de moi ! Mon Dieu, viens vite à mon secours ! » (Ps 71,12)

Même si la prière paraît vide.
Même si personne n’écoute.

Quand ça ne passe plus, ce n’est pas la foi qui a disparu.
C’est parfois le lieu même où la foi devient autre chose :
Non plus une force.
Mais une attente nue.
Un appel sans fard.
Un lien fragile, mais réel.

Pas besoin de feindre d’aller bien.
Pas besoin de forcer une reconstruction immédiate.
Pas besoin d’avoir toutes les réponses.

Il suffit peut-être, pour ce soir-là, de ne pas lâcher le fil.
Même mince, même ténu.
Même avec la peur, la colère, l’impossibilité.

Et croire — ou du moins espérer — qu’un fil, aussi usé soit-il, peut encore tenir entre nos mains.
Et dans celles de Dieu.

Est-ce qu’il faut tout accepter ?

Quand on est là, dans cet endroit où rien ne passe plus,
Quand la fatigue, la colère, la solitude, la honte, les questions se mêlent,
On pourrait croire que le seul chemin est de tout encaisser.
De dire oui à tout.
De se soumettre.
D’endosser, même ce qui détruit.

Mais la question est peut-être ailleurs.

Faut-il accepter ce qu’on subit ?
Faut-il bénir ce qui écrase ?
Faut-il appeler "croix" ce qui n’est qu’injustice imposée ?

L’Écriture n'encourage pas à tout absorber sans discernement.

Jésus lui-même, au jardin, prie pour que la coupe passe loin de lui (Mt 26,39).
Il ne la glorifie pas. Il ne se jette pas dedans avec héroïsme.
Il lutte.
Il parle vrai.
Il demande.

Et c’est dans cette parole nue, dans cette résistance sans posture, que la foi respire encore.

Il arrive que certaines douleurs, certaines violences, ne soient pas à accepter, mais à porter autrement :
Non pas en les niant.
Non pas en les sanctifiant.
Mais en les livrant à Dieu, sans filtre, comme un poids qu’on ne peut pas porter seul.

Peut-être que la foi, alors, n’est pas de tout accepter.
Mais de ne pas taire ce qui détruit.
De ne pas appeler bien ce qui est mal.
De ne pas transformer en vertu ce qui fracture.

Quand ça ne passe plus, ce n’est pas un échec de la foi.
C’est peut-être un appel plus profond :

Celui de ne pas accepter l’inacceptable.
Celui de ne pas se mentir.
Celui de rester vrai devant Dieu — même si tout le reste vacille.

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Prier quand on n’a pas envie